Le prix des primeurs 2015, inévitablement à la hausse

En cours d’élevage, le millésime 2015 de Bordeaux se dévoile en dégustation et se prête déjà aux spéculations sur le niveau de hausse de ses prix
Battant son plein à Bordeaux, la semaine de dégustation du dernier millésime pose la question des prochains prix et de leur origine stratégique. Tour d’horizon avec quatre dirigeants de crus classés en 1855 de la presqu’île médocaine.

Ce que le prix des primeurs doit à sa semaine de présentation est une équation délicate, où l’ego affiché se dispute aux stratégies confidentielles. A écouter les principaux intéressés, des propriétaires de crus classés, cette décision annuelle dépend de nombreuses variables, du millésime évidemment (notamment son exposition médiatique, mais aussi ses rendements), mais surtout de sa perception par la Place de Bordeaux (essentiellement le dynamisme des marchés, allant des taux d’intérêt à ceux de change). Diffus, cet ensemble de paramètres peut être résumé en une variable, on ne peut plus indéfinie : l’attente perçue des primeurs.

Et pour le dernier millésime bordelais, les propriétés espèrent que l’heure du soulagement est arrivée. « Après des millésimes 2011, 2012 et 2013 difficiles pour tout le monde, puis le questionnement en suspens de 2014, on a l’impression de sentir la possibilité d’une reprise avec le millésime 2015 » résume Olivier Salques, du château Boyd-Cantenac à Margaux (qui vend la moitié de ses vins en primeur). De bon aloi durant la semaine des primeurs, la naturelle prudence des crus classés a tendance à s’effriter avec cette satisfaction d’avoir réalisé un bon millésime. Tant et si bien qu’ils s’accordent déjà tous sur une tendance : les prix vont monter, raisonnablement, mais surement.

« Il reste à traduire les réussites techniques en performances commerciales » essaie bien de pondérer Anne-Françoise Quié, du château Rauzan-Gassies à Margaux (à 95 % commercialisé en primeurs). Mais c’est pour mieux s’amuser de rapporter que ses acheteurs n’ont qu’une rengaine lors de leurs dégustations 2015 : « vos vins sont très bons, il nous en faut plus, mais il ne faut pas monter le prix ». Un message classique de la part d’acheteurs, mais vu cette année comme une validation d’une hausse raisonnable, bon millésime oblige.

2015, le bien aimé

Avec la bonne réputation dont le millésime bénéficie depuis les vendanges (des consultants à la presse), il semble que la semaine des primeurs ne serve qu’à conforter l’image que les critiques et metteurs en marché ont de 2015 sur la rive gauche. Ceci afin que les propriétaires arrêtent les fourchettes d’augmentation des prix qu’ils ont déjà en tête. Et que leurs acheteurs valident les allocations sur lesquelles ils se sont déjà positionnés. « La bonne image du millésime s’est faite dès le mois de septembre. Depuis des mois, les gens m’en demandent » confirme Jean Triaud, du château Saint-Pierre à Saint-Julien (qui réalise 85 % de ses ventes en primeur).

S’il est pressé de demande, il ne compte pas se précipiter pour annoncer ses prix. « D’expérience, il ne porte pas bonheur de sortir ses prix en premier. On attend de voir ce que font les voisins » glisse-t-il, préférant surveiller les réactions pour bien être dans le marché. « En 2015, on a quelques pistes positives de la place de Bordeaux, qui est prête à suivre. Ce sera moins cher que 2009 et 2010, mais plus cher que 2013 ou 2014 » estime-t-il.

Qui critique les critiques ?

Le système en primeur repose sur le concept de perception des attentes et des possibilités offertes au millésime. Si les critiques en sont la composante la plus visible, leur importance est réduite à peau de chagrin par les propriétaires. A écouter les grands crus médocains, peu de notes sont encore capables d’influencer directement leurs prix. Il faut dire que depuis l’an dernier, l’avocat américain Robert Parker Junior ne se déplace plus pour les primeurs bordelais, laissant moins un vide que le souvenir d’une époque révolue.

« On est toujours ravis d’avoir de bonnes notes, c’est une reconnaissance réelle pour nos équipes techniques, mais ce n’est pas un indice de fixation de ne prix » estime ainsi Anne-Françoise Quié. Il est vrai qu’avec un millésime d’emblée plébiscité, l’impact des critiques est mécaniquement moindre. Du moins quand leurs échos se contentent d’être positifs. Quand l’orientation est négative, elles peuvent quand même peser dans la balance.

« L’idée qu’il a plus plu dans le Nord du Médoc qu’ailleurs s’est installée dans l’esprit de certains. Les notes ne sont clairement pas à la hauteur des vins » enrage Basile Tesseron, du château Lafon Rochet à Saint-Estèphe (80 à 90 % des ventes en primeur). Passablement furieux, il tend les échantillons de primeurs en lançant : « ça a pris la pluie ? C’est dilué ? On a rajouté de l’eau ? Rarement on a eu de tels vins… » Ne mâchant pas sa déception, Basile Tesseron témoigne donc d’un certain pouvoir médiatique direct, du moins quand il est négatif (le millésime 2013 en a fait les frais). Passée la déception, il indique fixer ses prix en primeur par un test sur ses acheteurs fidèles. A l’occasion d’un voyage en Angleterre, il juge auprès d’eux de l’acceptabilité de ses idées de prix.

Si les marges de manoeuvre de chacun semblent confusément entremêlées, le système des primeurs fonctionne toujours parce que ses acteurs finissent par s’y retrouver. Ces propriétaires le clament en choeur, si système des primeurs persiste, c’est qu’il est bien rôdé. Et toujours demandé, entre les besoins de trésorerie des propriétés et la demande d’assurer un approvisionnement pour les acheteurs. Des allocations à prix intéressants soulignent les crus médocains, qui estiment que les vins de Bordeaux sont en accord avec le marché des grands vins mondiaux, de Bourgogne à la Toscane.

Sources : Alexandre Abellan / www.vitisphere.com

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