Numériser le vin

Un vent numérique souffle sur le vin
Robots, drones, applications, progiciels, clouds, sécurités digitales…
Les technologies numériques envahissent l’univers du vin, de la culture de la vigne à l’élaboration et au commerce du vin.

Si vous passez en Champagne au moment des prochaines vendanges, ne vous étonnez surtout pas de voir de petits êtres mécaniques, trapus et montés sur roues, récolter avec une régularité de métronome les précieuses grappes de chardonnay ou de pinot noir. Un inventeur génial, créateur de la société bourguignonne Wall-YE, a organisé pour quelques domaines champenois cette grande première : l’emploi d’une petite brigade de robots vendangeurs là où les traditionnelles équipes humaines pourraient faire défaut.

Christophe Millot, l’inventeur en question, n’est pas un illuminé. Il commercialise déjà des engins autonomes sous la marque Wall-YE capables de tailler la vigne. Des robots actifs dans une trentaine de domaines début 2015. Les technologies informatiques et digitales disponibles lui ont permis de réaliser cette performance pouvant au premier abord paraître incongrue dans le milieu du vin apparemment très conservateur. Mais la réalité évolue avec une rapidité déconcertante. Lors du dernier Vinitech (Bordeaux), le “concours Lépine du vin”, les professionnels ont été intrigués par les bouchons sans tire-bouchon (société Amorim, Portugal), ou les étiquettes odorantes en trois D (Innovaciones para etiquetajes, Espagne). Mais c’est surtout Max, le sommelier virtuel (société Vinoreco) qui les a bluffés. Déjà adoptée par l’enseigne Carrefour, bientôt chez Leclerc, cette gamme d’applications pour smartphones et tablettes aide à choisir une bouteille dans la jungle des rayons ou des foires aux vins en fonction des préférences personnelles du client.

Anecdotique ? Non, une véritable révolution digitale est à l’oeuvre dans toute la chaîne d’élaboration du vin. « Aujourd’hui, le numérique irrigue nos vies, il va donc influencer la production du vin comme sa commercialisation ou même sa valorisation », résume Gilles Brianceau, directeur du regroupement d’entreprises Inno’Vin de Bordeaux, seul du genre à fédérer des start-up dont les créations numériques vont bouleverser la filière. Après les révolutions œnologiques, techniques, puis technologiques de la fn du XXe siècle, le début du XXIe siècle va connaître une véritable révolution immatérielle : clouds, analyses satellites, puces et ondes RFID, “applis”, cartes numérisées… il y en a pour tous les goûts. Les amateurs de vin, qu’ils le veuillent ou non, sont tous concernés.

LES NOUVELLES TECHNOLOGIES DANS LES VIGNES
Robots et drones, ils travaillent même la nuit !
Tailler la vigne en plein mois de janvier, quel travail ingrat ! Heureusement, un géo-trouvetou français a inventé un robot capable d’effectuer seul cette tâche : cet engin autonome, trapu, de couleurs blanc et bordeaux, bardé de capteurs et de caméras, est même capable de travailler de nuit. « J’ai commencé dans l’informatisation des cadastres de vignobles en Alsace, et petit à petit mes amis vignerons m’ont demandé de concevoir des robots capables de réaliser des travaux complexes dans la vigne », raconte l’ingénieur Christophe Millot, un enfant de Mâcon devenu l’inventeur des premiers robots vignerons au monde.

Au printemps 2015, sa société, baptisée Wall-YE (en hommage au dessin animé de Pixar mettant en scène un petit robot à tout faire), est en pleine effervescence : ses trente premiers engins tailleurs ont été vendus (25 000 euros pièce) à des vignerons de la France entière, trop heureux de trouver enfin de l’aide.

L’avenir semble rose pour l’entrepreneur. Ses drôles de machines (fonctionnant à la reconnaissance de formes grâce à l’analyse des pixels des images) ont été présentées jusqu’en Oregon et devant des émissaires de la Commission européenne. Christophe Millot s’est également entendu avec un industriel du Creusot, enthousiasmé par le projet, pour produire 100 robots par mois.

Toujours en ébullition, le cerveau de notre inventeur se consacre désormais à l’élaboration d’un nouvel engin, Robocor, capable de sécuriser un vignoble en faisant, par exemple, fuir les animaux nuisibles à l’aide de sons désagréables. Sangliers, c’en est fini de votre impunité !

La tondeuse intelligente
Impressionnant, un autre robot baptisé Vitirover faisait déjà sensation en 2013 à Vinitech. Cette tondeuse intelligente peut en effet s’immiscer entre les rangs de vigne pour tailler l’herbe avec un haut degré de précision. Son inventeur, Xavier David- Beaulieu, lui-même vigneron (château Coutet, Saint-Émilion), irrité par les machines géantes et hors de prix, voulait un assistant artificiel de taille modeste. Développée sous le patronage d’InnO’Vin, la deuxième génération de Vitirover est en phase de test avec de nouveaux capteurs ultra-performants. L’avantage ? Il est d’abord écologique, terminé les désherbants ravageurs.

Sous l’oeil du drone
Mais le buzz du moment, c’est évidemment le drone, utilisé à titre expérimental par plusieurs dizaines de propriétés en France. Le magnat Bernard Magrez fut l’un des premiers, dès l’été 2013, à acquérir son propre engin : 50 000 euros. Baptisé finement “Vers L’Excellence”, il survole les vignes du château Pape-Clément, à Pessac-Léognan. Véritable outil ou simple stratégie de communication ? « La technologie embarquée permet de mesurer utilement le nombre de ceps manquants, la corrélation entre la vigueur des feuilles et des raisins, la vivacité de certaines zones par rapport à d’autres… », énumère Henri Borreill, responsable de la société Exametrics, sous-traitant pour le groupe Magrez. « Cela nous permet aussi d’analyser finement les micro reliefs du vignoble et de mieux comprendre son irrigation, les maladies et la vigueur de la vigne », précise Lucas Leclercq, le directeur technique du château Lafon-Rochet, à Saint- Estèphe, qui utilise depuis l’été 2013 un simple drone acheté dans le commerce.

« Aujourd’hui, le drone est à la mode, mais attention, il n’est pas la solution à tout. La vigne, c’est ce qu’il y a de plus compliqué », relativise Romain Faroux, dirigeant d’Airinov, qui propulse plutôt ses engins volants au-dessus des cultures extensives de céréales. Il teste actuellement une offre à destination des viticulteurs, avec des objectifs concrets comme la détection de la sinistre flavescence dorée, un mal qui ronge le territoire français. Une expérimentation menée en collaboration avec la coopérative Charente Alliance et dont les premiers résultats seront connus d’ici septembre 2015.

SÉCURITÉ, TRAÇABILITÉ ET LUTTE CONTRE LES FAUX
Des puces sur les bouteilles de grands crus
Tanguy Hoegh-Guldberg, un ancien des fonds d’investissement américains, n’aurait jamais pensé être à la pointe sur un tel sujet. Seulement il a épousé une héritière bordelaise du quai des Chartrons, puis a lancé en 2013 Qual’ID, une start-up sécurisant une dizaine de grandes marques de Bordeaux.

Un scellé électronique
Son idée ? Adapter aux grands vins la technologie RFID (Radio Frequency Identification), des ondes radio que l’industrie logistique utilise pour gérer ses stocks.

Que ce soit pour une caisse de Lafte ou un tableau de maître, le principe consiste à y insérer une puce électronique qui garantit l’inviolabilité du colis. Pour le vérifier, il suffit d’utiliser un lecteur (généralement un téléphone portable) et de valider en un clic l’identité de la bouteille. Un système complexe mais plus élaboré que tous les systèmes de scellés physiques existants, comme le code à bulles aléatoires dans le verre de la bouteille, Prooftag. « Les systèmes de sécurité immatériels sont beaucoup plus difficiles à casser qu’un système traditionnel », résume Tanguy Hoegh-Guldberg, comparant son invention à un passeport biométrique.

Sur le papier, le numérique apporte donc une solution tendant enfin vers l’inviolabilité des vins, sujet sensible en raison des prix délirants affichés par les grands bordeaux et bourgognes. Qual’ID vend entre 30 et 40 centimes pièce une puce à insérer dans un scellé reliant bouteille et capsule ou à placer sous l’étiquette. Quand la puce est sollicitée, la bouteille est authentifiée via une plateforme numérique gérée par Qual’ID. La start-up propose même en bonus une analyse du parcours commercial du vin puisque celui-ci peut être tracé dans le monde entier grâce à ce mouchard embarqué.

« Des solutions anti-contrefaçons, il y en a des dizaines, mais l’avenir réside dans l’authentification en ligne », précise le Belge Patrick Eischen, fondateur de Selinko. Cette solution cousine utilisant la radiofréquence à courte distance (Near feld communication) utilise des clefs d’identification correspondant aux standards d’une carte bancaire, et une puce insérée sous la capsule doit être activée via ces codes pour authentifier la bouteille. Vendue un peu plus cher entre 50 centimes et un euro par bouteille, elle permet de gérer la distribution en ligne avec des certificats électroniques.

Identifier un vin sans ouvrir les caisses !
QR Codes, hologrammes, étiquettes à bulles aléatoires, encres invisibles… la génération de systèmes anti-contrefaçons serait-elle déjà ringarde ? Outre Qual’ID et Selinko, une troisième start-up, Wid, a imaginé, en partenariat avec le groupe Biolog, une technologie par ondes capable d’identifier des lots de précieuses bouteilles encore en caisses. « Les professionnels pourront authentifier les bouteilles sans ouvrir les caisses », explique le jeune fondateur Alexandre Mongrenier.

Enfin, l’exploit de ces jeunes pousses réside surtout dans leur capacité à convaincre les domaines les plus inaccessibles. Selinko a été adoptée par Jacques Tienpont et son château Le Pin, à Pomerol. Qual’ID a convaincu Jean-François Moueix à Pétrus, non seulement de protéger les bouteilles du millésime 2015, mais aussi de prendre une participation… dans son capital !

LE NUMÉRIQUE AU SERVICE DU COMMERCE
Le cyberespace optimise la vente des vins
Pour Gilles Brianceau, directeur d’Inno’Vin (Bordeaux), premier pôle de compétitivité consacré aux nouvelles technologies du vin en France, l’influence du numérique se fait déjà sentir dans le commerce du vin : « Le big data, on est dedans. Une multitude de données sont récoltées, triées et interprétées, cela va de la viticulture jusqu’à la commercialisation ».

Réduire les coûts d’achat
Alors, le numérique bientôt moteur de la santé financière d’une entreprise ? Oui, si on en croit l’aventure de Vinallia. Cette centrale d’achat de produits vitivinicoles, première du genre en France, exploite un progiciel capable d’analyser les besoins de centaines de propriétés et les prix de milliers de références dont les vignerons ont besoin (produits sanitaires, matériels…). L’objectif ? Compiler les données des vignerons adhérents grâce à une plateforme web collaborative, pour diminuer leurs coûts en effectuant pour eux des achats groupés.

Autre exemple probant, le Wine Data System qui propose aux négociants de gérer leurs listings de références afin de les mettre à disposition en temps réel pour leur clientèle professionnelle. Par exemple, un restaurateur peut ainsi consulter la disponibilité des références de sa carte des vins sur sa tablette 24 h/24.

Exit le responsable marketing
Et s’il n’est pas certain que les robots remplaceront un jour les vendangeurs, des logiciels ont déjà commencé à prendre la place des responsables marketing. À l’instar de celui de Wine Service qui propose une analyse clefs en main de données commerciales récoltées sur les principaux circuits de distribution, cavistes et restaurants. Parmi ses clients, cette société compte déjà une cinquantaine de grands crus bordelais : Talbot, Yquem, Angélus, Cheval Blanc… Car son logiciel étudie la performance commerciale (prix, visibilité…) d’un grand cru dans les villes stratégiques, Londres, San Francisco, Shanghai… « Nous sommes aussi capables d’analyser les performances des concurrents de nos clients », précise Guillaume Forcade, directeur des opérations de Wine Service.

Le commerce des grands vins est bel et bien entré dans le troisième millénaire.

LES SMARTPHONES À L’HEURE DU VIN
La guerre des “applis” ne fait que commencer
Après quatre années de développement, l’application Winewoo est disponible depuis début 2015 sur tous les téléphones mobiles. La France a donc son premier “détecteur d’étiquette”. Un marché jusqu’à présent dominé par la société danoise Vivino dont l’application, grâce à la technologie Optical character recognition, permet de scanner avec son smartphone n’importe quelle étiquette afin d’obtenir des informations sur le vin puis de l’acheter si on a aimé.

« L’expérience Winewoo est diférente : c’est nous et non la communauté qui renseignons les vins, nous assurons des informations fables à 100 % », détaille Xavier de Castelbajac, le directeur commercial. À la base de données de trois millions d’étiquettes de Vivino alimentée par les amateurs du monde entier, Winewoo oppose 100 000 fiches de vins français parfaitement à jour car fournies par les vignerons eux-mêmes.

Winewoo espère bientôt traduire ses données en anglais et en mandarin. L’application se rémunérera en proposant aux professionnels un historique payant de la consommation de leurs cuvées, voire de la vente en ligne.

Le Shazam du vin
Un autre projet concurrent baptisé Twill (voir La RVF n° 590, avril 2015) permet d’acheter instantanément son vin auprès du vigneron, un peu comme l’application Shazam avec la musique.

Dans ce monde digital où rien ne se perd, Audrey Gibelin a créé SmartCave, une “appli” de gestion de cave. Ses 55 000 références, françaises et étrangères, ont été indexées par ses utilisateurs depuis 2012. « Aujourd’hui, 18 000 amateurs utilisent nos services et un millier de nouveaux arrivants sont recensés chaque mois », explique l’entrepreneuse, décidée à monétiser ces informations avec une version professionnelle et payante de “l’appli”, SmartCavePro.

Tous les créateurs d’applications rêvent aujourd’hui de créer le Facebook du vin, un réseau où les amateurs échangeraient en permanence sur leurs vins préférés. C’est la vocation de Vinexplore, ambitieuse “appli” disponible depuis ce printemps et capable d’alerter en permanence les amateurs connectés de tous les événements, gratuits ou payants, autour du vin. « Nous sommes une arme marketing hyper-puissante pour les interprofessions », explique son fondateur Vincent Chevrier (lire encadré ci-dessous). Il a déjà convaincu des centaines de partenaires d’alimenter en direct sa base de données : dégustation, foires aux vins…

Enfin, venue du Roussillon, WineAdvisor propose à la communauté de partager ses dégustations, de les archiver, et même… d’acheter du vin en un clic, et donc de jouer les e-cavistes. Sans oublier que les “applis” se prêtent aussi au divertissement… et La RVF a ainsi lancé le premier quiz international sur le vin.

Sources : Benoist Simmat / www.larvf.com

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